_Hôtel Tiraspol, une fiction architecturale_
Projet de fin d’études, ENSA Paris-Malaquais
Directeurs d’études: Luca Merlini, Can Onaner
Février 2014


Sous forme de fiction, Hôtel Tiraspol est un projet d’architecture qui s’interroge sur l’existence d’un pays de non-droit, la Transnistrie, et sur le délire géopolitique qu’il engendre. La Transnistrie est un territoire qui se situe en Moldavie, en Europe de l’Est. Ce territoire qui ne fait pas plus de 4 000 km2 (un petit plus que la superficie du Luxembourg) s’est autoproclamé indépendant en 1991 après la chute de l’Union soviétique. La capitale, Tiraspol, conserve encore toutes les symboles de l’époque communiste: la statue de Lénine devant le Parlement, appelé encore Palais de Soviets, des blindés de guerre, symboles militaires de la ville et un stade hors-normes pour une ville de la taille de Tiraspol, avec l’équipe FC Sheriff Tiraspol. La frontière entre les deux territoires est delimitée par le fleuve Dnistr. Des militaires armés font office de check-point, à l’entrée de chaque pont. C’est ici que le projet se situe, à la place d’un point de barrage. La figure du check-point agi comme agissait le mur auparavant. Plus que la frontière, c’est l’acte de la traversée qui fait fantasmer. La nécessité d’échanges rend l’espace de la frontière poreux. Son rôle n’est pas seulement de clôre un espace, mais surtout de contrôler les accès. Ainsi l’action d’entrée et de sortie joue un rôle primordial dans ces points de limite, où la porte devient bien plus stratégique que le mur.

© images : veronica sereda




Hôtel Tiraspol se base sur une compilation de rumeurs - ces récits qui voisinent le réel et qui suscitent une fascination du secret. En effet peu d’informations circulent sur la ville de Tiraspol, peu sont véridiques mais surtout aucune n’est vérifiable. Plusieurs versions de ce qui se trame dans cette ville existent, autant des versions officielles qu’officieuses. La position fermée de Tiraspol fait émerger des visions de l’extérieur et de l’intérieur. Ainsi le projet est né de l’analyse de l’ensemble des versions et le statut abstrait de la rumeur a trouvé une forme architecturale.


Raconté par le biais de deux personnages, le touriste et l’évadé de Tiraspol, le projet traite de la condition du voyageur contemporain et son désir de transgression. Le touriste est celui qui crée les rumeurs, qui veut transgresser l’interdiction d’entrée dans cette ville et qui veut se mettre en position d‘insécurité, fasciné par ce qui lui est caché. L’habitant de Tiraspol est celui qui veut s’affranchir des rumeurs. Par son statut, habitant d’un pays qui n’est pas reconnu, il devient prisonnier et veut s’échapper. Il s’appellera l’évadé de Tiraspol. A partir de cette dualité, l’hôtel se compose de deux parties : une officielle pour le touriste et une officieuse pour l’évadé. Les deux mondes s’imbriquent et l’entrelacent constamment, créant des connexions visuelles, mais seulement un endroit permet à l’un ou à l’autre usager de changer de monde: la piscine. La logique d’organisation place toujours l’officiel avec les vues des chambres sur Tiraspol et l’officieux est toujours tourné vers l’intérieur, sur l’atrium central. La logique structurelle est constituée d’une trame qui facilite la modularité des espaces, où parcours parallèles peuvent coexister, et espaces officieux s’agripper à la structure officielle de l’hôtel. L’architecture de la partie officielle est normée, répétitive, systématique. Elle est transgressée par l’architecture des rumeurs, qui s’inscruste, se plie, s’adapte à l’officielle, la contourne et la détourne au même temps. Installé dans la trame de l’espace officiel, l’officieux devient camouflage. Hôtel Tiraspol accorde autant de place à l’illégal qu’au légal. Interdépendance des programmes et croisement des usages en réponse à une révolte interne de chacun : le touriste en quête de risque et l’évadé en quête de liberté risquée.


Ce projet est l’expression matérielle et architecturale de tout un contexte géopolitique. L’échelle du projet et sa matérialité reflètent l’empreinte dictatoriale politique et sociale de ce bout d’Europe. La dualité qui est traitée montre l’état actuel de la société de ces pays de l’ex-union soviétique qui se retrouvent dans un entre-deux, entre la nostalgie d’une époque résolue, lié surtout à la mémoire d’une société et à son histoire, l’époque soviétique, et le renouveau, celui de tendre vers des libertés fondamentales et vers la démocratie.